Et voici maintenant une petite chanson joyeuse.
Veuillez excuser le délai depuis le dernier billet : pas évident en effet de digérer l'œuvre foisonnante du Ténia (de Le Ténia ?), poète maudit du Mans (de Le Mans ?) qui aurait enregistré, entre 1997 et sa mort prématurée en 2011, près de 2000 chansons, distribuées sur des cassettes et CD maison ainsi qu'en téléchargement libre sur son site web qui lui tenait également lieu de journal intime. Bien sûr, dans ce cas chanson est peut-être un bien grand mot et il s'agit bien souvent plutôt de fragments, tranches de vie ou idées unitaires mise en musique sur quelques accords, mais qui n'en sont pas moins autant de petits bijoux d'art brut. Les habitués du Madrid Truck Stop pourraient se l'imaginer comme un genre de Normand L'Amour en plus jeune, sensible, intelligent, névrosé, tragique et lucide — on est finalement plus proche d'un Elliott Smith ou d'un Daniel Johnston.
Jean-Luc, Lecourt de son vrai nom, était un employé à la médiathèque municipale qu'on imagine réservé, et se transmutait le soir en Ténia débridé livrant, sans filtre, ses états d'âme aux jeunesses enivrées et en quête de sens dans des performances totales qui se terminaient apparemment souvent aux petites heures dans le plus simple appareil. Il se fait remarquer notamment de Didier Wampas qui reprend en 1998 son titre éponyme Jean-Luc Le Ténia sur l'album Chicoutimi (déjà mentionné ici il y a quelques mois: comme quoi toute est dans toute) et le consacre « meilleur chanteur français du monde. »
Ce sera d'ailleurs le titre de son seul album sorti à peu près commercialement (et donc le plus connu), en 2002. Artiste déjà culte de son vivant, son influence souterraine a continué à s'exercer ces dix dernières années et s'afficher à travers diverses initiatives, notamment la série d'albums de reprises Mausolée tapes (9 volumes à ce jour depuis 2016) permettant à tout un chacun de s'approprier son répertoire. C'est en parcourant ces hommages d'artistes d'horizons divers (mais tous rigoureusement étrangers des ondes aux heures de grande écoute) qu'on remarque que Seul de nouveau doit peut-être être considérée comme le plus grand « succès » de Jean-Luc, illustrant bien son approche: 3 accords, 4 lignes de texte, une sensibilité à fleur de peau, une trouvaille linguistique (la rime en vo), une mélodie impossible à désentendre.
Ma porte d'entrée dans l'univers JLLT a été son album de reprises minimalistes de Neil Young qui fait la part belle à la production « récente » du Loner de ces 40 dernières années (il y reprend notamment à peu près tout Greendale, l'album concept de 2003) et est donc aussi une belle façon de (re)découvrir ce que le meilleur chanteur canadien du monde a fait de mieux, en gros, depuis l'anthologie Decade parue en 1977. Ces chansons, ramenées à leur essence (et chantées dans un anglais à couper au couteau) mettent d'ailleurs en lumière des parallèles intéressants entre les univers des deux artistes. Il a aussi fait Tommy en 2007, mais j'avoue n'avoir pas encore eu l'occasion – ou le courage – d'écouter ce que ça donne, comme pour à peu près 1950 titres que je prévois découvrir et déguster petit à petit dans les prochaines années comme on déguste une eau de vie rare ou rembourse son hypothèque : lentement mais sûrement.
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Écrit le 2021/1/22 à 18:07 par Jean-Luc